LE CHIEN ERRANT de Micheline BOLAN

Publié le par Tina

Bonjour Micheline, si vous lisez. Il  y a trop longtemps que je n'ai pas parlé de vous et vos écrits.
Je crois que je n'avais plus les liens, à cause de certains déboires passés avec les ordinateurs.
J'ai retrouvé sur mon blog ARGENTINA  vos liens dans les links  : 
J'ai saisi la "balle au bond" et je copie ici votre sujet. Le chien errant
LE CHIEN ERRANT  de Micheline BOLAN
http://homeusers.brutele.be/bolandecrits/contes.html

Le chien errant
Chassé, répudié, rejeté. Il s'en va. Il monte le chemin qui mène jusqu'à la ferme voisine. Il a écouté les cris de ses maîtres, leurs injures. Il a vu leurs gestes si vifs, si rapides. Il a reçu des coups de bâton sans broncher, sans penser à se rebiffer. Des années de dévouement sont ainsi balayées. Il a bu le calice jusqu'à la lie.
Aujourd'hui encore il se dit que si c'était à refaire, il ferait ce qu'il a fait et qui lui vaut ce renvoi. Oui, il mordrait de nouveau la vache récalcitrante, celle qui refusait de prendre la route vers la prairie. Il a juste fait son boulot. Il est y allé un peu fort mais où est la limite entre l'acceptable et l'inacceptable ? N'aurait-il pas été grondé de la même façon si la vache s'était égarée ? Aurait-on été plus indulgent s'il avait mordu un mouton ou une chèvre ?
Le chien noir s'en va, droit devant lui. Il parcourt plusieurs kilomètres, honteux d'avoir été renié. Il suit des sentiers bordés d'arbrisseaux aussi bien que des routes de campagne. Il garde le museau quasiment collé au sol. Les fouillis d'herbes folles, de fleurs sauvages dans les fossés ne l'attirent plus. La mousse qui tapisse les endroits ombragés a perdu sa douceur. Les papillons, les mouches, les abeilles ne l'incitent plus à la rêverie. Il entend pourtant leurs bourdonnements. Quand il se redresse, il voit leur vol. Le rouge des coquelicots, le bleu des papillons ont perdu leur attrait. Pour l'instant, ça sent partout l'abandon, l'amertume, l'affliction, l'humiliation, la culpabilité. C'est la solitude du paria qui l'empêche de se rouler dans l'herbe, de fureter à sa guise, d'être étourdi par sa liberté, de jouir de cette infinité de petites choses qui, hier, faisait son plaisir.
Il atteint une cour de ferme. Dehors, un grand bac avec de l'eau. C'est toujours bon à prendre. Il boit un peu puis reprend sa route. Il a étanché sa soif. Du coup, il trouve en lui des miettes d'espérance. Il va plus loin, en direction de cet appel des cloches.
Ce sont les douze coups de midi qui sonne dans le lointain. Il est midi mais il n'y a pas de pâtée. Il est midi et il n'y a eu qu'un peu d'eau pour se désaltérer. Il marche le dos courbé. C'est l'humiliation ressassée qui l'empêche de se redresser. C'est l'inquiétude du lendemain qui pèse sur lui.
A présent, il marche replié sur lui-même comme un enfant puni. Il espère rencontrer une bonne fortune. Un morceau de pain mis à la disposition des oiseaux, un biscuit ou un fruit qu'un gosse aurait laissé tomber, des déchets alimentaires qui pourraient lui convenir. Il croise un ouvrier assis sur une pierre, occupé à déjeuner. Un brave homme qui lui lance une grosse croûte de fromage. Jamais, il n'a dégusté un mets aussi parfumé que celui-là. Il regarde l'homme avec des yeux dorés, suppliants. Il demeure immobile, gardant précieusement dans sa gueule la saveur du fromage. Son regard est tendre. L'homme lui tend un bout de couenne. Il s'approche, il le hume, il le saisit, il s'en délecte. L'homme replie la serviette qui contenait son pique-nique. Alors, le chien continue sa route.
Ce premier jour, la moisson est bonne. Un reste de pâtes lui est offert par une vieille femme qui allait le verser dans la poubelle à l'extérieur de sa maison. À quelques pas d'une école, il déniche une part de gâteau. Une fillette lui fait cadeau de savoureuses tartines au sirop, d'une barre chocolatée et d'une madeleine. Cela lui semble bien plus agréable au palais et aux narines que l'éternelle pâtée avec du riz, des carottes et un maigre morceau de viande que lui préparait sa maîtresse. Il trouve de l'eau en plongeant dans un ruisselet ou en se penchant sur une citerne.
Il découvre une masure inhabitée et y passe la nuit. A l'aurore il est réveillé par le pépiement d'un oiseau. Pour la première fois de sa vie, il apprécie le chant du coq. Il se redresse quelques secondes, heureux de vivre. Puis il laisse retomber sa tête et reposer son corps sur le vieux carrelage. Il se rendort. Rien ne presse. Il n'y a plus de troupeau de vaches à conduire, plus de contraintes, plus de reproches possibles.
Le deuxième jour, il s'avance avec plus de souplesse que le premier. Ses muscles sont moins tendus. Son port de tête est plus haut. Ses yeux dorés reflètent une sorte de bonté. La moisson est meilleure encore. Ici, on l'appelle pour lui donner un reste de rôti, là il reçoit une vraie pâtée, le surplus de ce qu'a consommé le chien de la maison. Ailleurs, on lui propose un gros os. Il est rassuré. La nourriture ne manque pas. Les gens vont au-devant de ses désirs. Ils le devinent.
Bonheur suprême, un gamin lui joue un air de flûte. Tous les délices du monde sont dans cet os dégusté en écoutant un air de flûte ! Le paradis sur terre.
Il va de village en village et ne rencontre souvent que bienveillance. Il lui suffit de percevoir quand on commence à se lasser de sa présence. Il saisit fort bien le sens de ces "Je n'ai plus rien pour toi", "Allez ouste", "C'est tout." Face à de tels propos, il adopte un profil bas et s'en va voir ailleurs. Son beau regard doré remercie toujours. On commence à l'appeler "le chien errant" mais il n'en éprouve aucune rancœur.
Il a appris à apprécier la musique. Combien de femmes ne chantent-elles pas en suspendant du linge ? Combien d'hommes ne sifflent-ils pas ou ne fredonnent-ils pas en travaillant dehors ? Combien d'enfants ne s'exercent-ils pas à jouer d'un instrument de musique ? Chez ses maîtres, on ne pensait qu'au travail. On ne chantait jamais. On n'avait pas le temps de jouer de la musique ou d'écouter des rengaines à la mode. La guitare n'était qu'un objet décoratif accroché au mur de la salle à manger.
Cette année-là, l'automne est doux et lumineux. Puis, le temps des brumes et des pluies arrive. Alors, un homme qui l'observe devant sa demeure, le place dans le panier attaché à l'arrière de son vélo et va le conduire dans un refuge pour animaux. Le chien ne résiste pas. Il a entendu que l'homme disait "refuge" mais il n'a pas compris.
Quand ils arrivent en ville et que l'homme franchit la grille d'entrée d'un bâtiment gris, le chien noir saisit qu'il va perdre sa liberté. Au prix de gros efforts, il saute du panier. Il court à travers les rues. A bout de souffle, il arrive dans un jardinet. Près d'une statue, un homme hirsute joue de l'harmonica. A ses pieds, une sébile. Le chien reste à ses côtés. De beaux yeux dorés, qui implorent, une posture de charme pareille à celle d'un sphinx. Les passants ne résistent ni à la musique de l'homme, ni aux yeux dorés du chien. La sébile se remplit comme jamais elle ne s'est remplie.
L'homme joue sans peine. Ses lèvres et ses mains parfaitement synchronisées laissent échapper une musique joyeuse. Quand l'homme s'arrête de jouer et s'en va casser la croûte dans un petit bar, le chien le suit. L'homme ne dit pas un mot mais il sourit. Tandis que l'homme boit un potage, le chien a droit à un bol d'eau. Le chien est aux pieds de l'homme. Ils semblent unis depuis l'éternité.
Le soir, le chien regagne la chambrette de l'homme. Ce soir-là, il fait chaud dans la chambrette. Ce soir-là, l'homme joue pour son nouveau compagnon. Depuis lors on ne l'appelle plus le "chien errant". Depuis, on l'appelle "le chien" et cela le comble de bonheur…
L'homme et ses mélodies lui plaisent. Lui et ses beaux yeux dorés plaisent à l'homme. Ils ne font plus qu'un. Qui accueille l'un, accueille l'autre. Ils vont par les routes. L'été, ce sont des villages où l'homme parvient à trouver des endroits où déplier la modeste tente qu'il porte sur le dos. L'hiver, c'est la ville où l'homme loue une chambrette. Le chien offre la chaleur de sa présence. Le mendiant offre sa musique et la douceur de ses caresses.
L'homme a trouvé un compagnon qui partage son existence, un confident qui saisit plus que les mots. Le chien a trouvé un maître qui l'accepte sans rien connaître de son passé.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
J'ai adoré... merci Micheline !
Répondre
M
Merci Cathy !
M
Merci d'avoir publié ce conte.
Répondre